Collecte de paroles
Traverses
Avec l'ABC
association bourguignonne culturelle
Attention crossover !
Sont regroupés ici les textes des participants de deux ateliers (puisque le spectacle qui a inspiré la proposition d'écriture était programmé par l'ABC à l'atheneum). Occasion de découvrir les textes des autres...
et l'atheneum, centre culturel de l'Université de Bourgogne
Les textes écrits lors des ateliers d'écriture créative
du 3 et du 5 décembre 2022
où l'on revient, à la manière de Leïla-Claire Rabih dans son spectacle Traverse, sur des événements qui nous ont traversées...
où l'on s'appuie sur des textes de Medhi Charif, d'Alice Zeniter et d'Annie Ernaux...
Dans les années 1991-92, j'ai postulé pour un poste en région Parisienne à Lognes, une ville nouvelle. J'ai eu deux entretiens. Pour le premier, j'y suis allée en train. A la sortie de la gare, je me suis retrouvée au milieu d'une cité bétonnée, pas de grands immeubles mais du béton partout, plutôt de couleur clair. Le souvenir que je garde de cette ville fut lunaire, comme dans un film de science-fiction : pas de verdure, pas d'arbres, seulement de l'habitat à perte de vue, pas de grands ensembles avec des tours mais de petits immeubles neufs de couleur clair. Je n'ai pas de souvenirs d'avoir vu des gens qui pouvaient travailler ou vivre là, personne dans les rues. Dans mon souvenir c'est une vision blanche que je garde, sans vert, sans arbre, sans parc, du béton, du béton et du béton.
J'ai dû prendre les transports en commun car je ne rappelle pas comment je suis arrivée à l'entretien, j'ai passé deux heures à faire des tests psychotechniques comme si je repassais le bac mais en beaucoup plus ludique.
Je me suis revenue une seconde fois dans l'entreprise pour le second entretien mais en voiture pour me rendre compte de la distance et pour avoir une vision différente de cette ville nouvelle. Le ressentit fut le même : la ville était froide, je m'y sentais seule au monde, isolée comme au milieu du désert. In fine j'ai refusé le poste, cette expérience m'a permis de comprendre mes besoins essentiels, la verdure, un cadre agréable, être dans la nature. Tout cela je l'avais déjà. L'herbe n'est pas forcément plus verte dans le pré du voisin.
Claudine Delestre.

2 secondes et toute une vie
Aujourd'hui encore ma mémoire se fige lorsque j'emprunte la rue Berlier. Souvenir ému de la maternelle désormais rayée du cadastre. Et puis cette chanson Ani couni chaounani, les nattes de la maîtresse dont j'ai oublié le visage. Mon portrait à la petite table avec mes boucles d'oreilles et ma jupe écossaise, mon sourire triste. Je détestais l'école et le dimanche soir car j'avais le cœur gros de devoir quitter les bords de la Tille, mon chien Rick et la maison en sucre de mon enfance. Je rêvais d'école buissonnière, de cabanes dans le canapé aux ressorts usés et de madeleines bon marché achetées au camion ambulant qui sillonnait les campagnes et permettait aux grands-mères de faire leurs provisions pour la semaine. La vie semblait simple et paisible dans ce val de la Tille, où je resterais éternellement petite, où les cheminées fumaient du charbon noir dans des chaudières dont on ignorait encore l'empreinte carbone.
Alors quand des années plus tard, j'ai troqué ma jupe et mes créoles de petite fille contre un jean à fermeture éclair, une frange qui faisait râler ma mère et un blouson bien trop grand, je ne savais pas que je regretterai aussi fort cette époque formidable où j'ai appris à lire avec Rémi et Colette, tout en dessinant des bleuets, je crois que ça doit ressembler à ça dans mon souvenir, des fleurs virant au violet, qui m'ont valu une note. Une note qui m'avait épatée du haut de mes 6 ans, dans ce fameux cahier de contrôles qui a généré bien des angoisses dans mon parcours scolaire. Quel mot violent, contrôle, à l'aube de la découverte du pouvoir des mots... Oui maman, un jour, tu as jeté toutes mes reliques scolaires, car oui à un moment il faut vider les greniers de ces traces d'une enfance où l'on regrette l'odeur des pots de colle de la maîtresse, la guimauve et les guirlandes sur le sapin. Je sais aussi que tu as dû les feuilleter une dernière fois avant de les glisser délicatement dans un carton pour un cimetière à souvenirs. Et sans doute, te connaissant, tu as peut-être gardé ces fameux bleuets au fond d'un tiroir particulier qu'un jour peut-être j'ouvrirais. J'espère dans très longtemps.
Des bâtiments immenses, des fenêtres pour géants, des portes trop hautes, des salles qui résonnent l'austérité, des profs imbuvables ou géniaux, enfin une poignée seulement mais c'est à eux que je dois en partie ce que j’ai choisi de devenir... Une lilliputienne perdue entre le petit quartier et le grand, c'est donc ça grandir...Le vertige des escaliers, la sonnerie qui réveille, le flux orchestré des lycéens entre deux cours, comment se repérer dans ce labyrinthe anonyme, l'impression que tout le monde sait sauf moi, début de la paranoïa, je dois être la seule à ressentir cette solitude sourde, c'est écrit sur mon front. Se faire de nouveaux amis relève du miracle. Enfin, c'est à ce moment que le sens du mot ami tombe dans une dialectique curieuse. La lutte des classes commence là pour moi. Enfin se poursuit. Oui mon père n'est ni chirurgien, ni haut fonctionnaire. Non, seulement fonctionnaire, tout court. Il fonctionne donc… Alors oui j'ai commencé à inventer des scénarios, stratégie d’évitement, là aussi ça commence plus tôt qu'on ne le croit, n'est-ce pas Mme Dolto. Je fais en sorte que personne n'entre chez nous. Mon père est maître d'hôtel, dans des villes prestigieuses et je vis seule avec ma mère et mon frère dans un appartement, bou-le-vard Car-not (j’aime énoncer chaque syllabe) derrière ce porche, au numéro 15 mais à chaque vacance nous allons rejoindre mon père dans de superbes palaces. Magnifique de s'inventer des vacances extraordinaires où l’on skie sur des pistes imaginaires abreuvés de caviar ! Enfin, juste sinistre a posteriori. Tout comme la mode... Et oui je ne portais pas d'habits de marque, car non, mon père, lui habillé de pied en cape, impeccablement, nous avait enseigné ce fameux adage, l’habit ne fait pas le moine, que je casais avec une conviction douteuse. Et si par un hasard angoissant, quelqu'un me demandait où j'avais acheté mes chaussures, eh bien, papa me les avait envoyées par colis, d'une ville branchée, on disait branchée à notre époque, où mon père officiait. J'étais incollable sur tous les Hilton de la terre comme dans la chanson j'aurais voulu être la fille d'un… Mais j’entends encore les gloussements dédaigneux des filles à particules...
Et non, mon nom, à moi, ne présentait pas de particules. Les seules particules m’animant à cette époque étaient celles du fameux nombre d’Avogadro en cours de chimie. Une prof à la hauteur, enfin, un côté gazon maudit emprunté à Balasko, fabriquant du nylon avec des lunettes de chantier, donnant un sens aux vecteurs et aux lois étranges de la physique dans les remonte-pentes, dans ces salles obscures ressemblant aux futurs amphithéâtres qu’un jour je fréquenterai à la fac Gabriel mais ça je l’ignorais. Heureusement, côté particules état civil, d'autres avaient des noms encore plus communs que le mien... Notons le faux-semblant de mixité auquel parfois le ministère de l'éducation nationale veut nous faire croire dans les lycées élitistes de chaque département. Comme j'aurais voulu me fondre dans la masse de ces grandes familles bourgeoises dijonnaises, parce que j'ai si souvent entendu ma mère dire avec une fierté à la fois, confuse et affirmée, que, quand même ma grand-mère dans les années 50 avait coiffé les grandes dames de Dijon. Mais qu'est-ce donc au fond une grande dame ? Comme aujourd'hui je regrette d'avoir voulu fusionner avec cette communauté aux codes tronqués. Qui surjoue sa life, comme dirait les jeunes d’aujourd’hui. Je ne savais pas combien de temps il faut pour imaginer déjà, être soi. Y parvenir est un véritable défi, la quête d'une vie.
Alors, oui, l'insulte profonde quand la prof de maths qui m'alignait des notes entre 3 et 5 a convoqué, encore un joli mot de l’institution, ma mère un jour de mars hivernal, après ces fameuses épreuves longues au cours desquelles elle sortait son tricot. Là déjà, ma mère a oscillé le sourcil droit. Tricoter donc pendant une épreuve où les élèves jouent leur orientation comme disent les conseillers bien intentionnés... Les profs tricotent et ne se trompent donc jamais. Je ne polémiquerai pas sur la physionomie du pull. Voilà ce que la dite tricoteuse à aiguilles perfides a articulé à maman : ferait mieux de se réorienter et faire un BON C.A.P. Coiffure, par exemple. Car oui vraiment même dans une section littéraire, aurait du mal. Alors scientifique, vous n’y pensez pas tout de même pas… Parlant de moi à la troisième personne comme si je n'étais pas là...Je revois sa blouse criblée de croix rouge parce qu'elle avait l'art de se rouler contre le tableau après avoir dessiné des graphiques dont je n'ai toujours pas saisi la subtilité mathématique, linéaire ou affine la fonction, sur les tableaux noirs et vieux de ce lycée aux salles froides et rigides, comme son institution. Je revois sa coupe de cheveux stricte, ses doigts boudinés, ses godillots que seuls les profs de maths sont capables de porter, et aussi ses lunettes cerclées des années 80 que seule ma grand-mère pouvait si bien porter. Je revois ma mère enfiler son manteau acheté aux nouvelles galeries, un jour de soldes, chausser ses gants, ma mère était d'une élégance subtile et bon marché, la foudroyer de son regard vert comme la tempête et lui dire que sa fille méritait une seconde chance, que si elle avait lu ces satanées fiches où l'on demande aux élèves la profession des parents que les profs ne lisent jamais, elle saurait le grand vide qui a rempli son cœur et désorganiser son cerveau d’adolescente à la frange trop longue, un jour de mars, une certaine année. Ce fameux jour où tout a basculé, ce jour de mars où il n'est jamais rentré où j'ai décliné toute affinité scolaire. Papa, mon papa. Maman lui a remis les points sur les I comme elle dit, à la prof dont je n'oublierai jamais le nom mais que je ne nommerai pas, juste parce qu’elle ne le mérite pas. Elle a sauvé ma peau scolaire et dit des trucs très chouettes, que seule une maman est capable d'hurler avec son ventre. Elle a posé le décor et je crois bien dans mon souvenir que la prof de maths, sans aucune classe, s'est rétrécie derrière son petit bureau de bois face à la détermination de maman et à son regard devenu vraiment noir de certitude. Et de colère aussi.
Maman a toujours su que je ne pouvais pas dire que papa n'était plus, parce que, elle aussi, elle a mis du temps à pouvoir l'écrire sur les dossiers que l'administration scolaire ne lit jamais, au pire banalise. Et puis, c'est moche d'insulter toute une génération de coiffeuses ! Non mais !
C'est ainsi que j'ai coupé ma frange et compris que lorsque le cœur de papa a cessé de fonctionner, celui-ci de maman a grandi, tel un blob. Pour nous. Le jour où papa a joué avec une corde. Un jour de mars sans crier gare. Lui et ses traductions littérales fumeuses. Without shouting station. Vertige infini.
Alors, quand j'ai franchi les portes de la petite chapelle, sans boussole, presque 40 ans plus tard, un jour de novembre 2022, j'ai crié avec mon cœur, celui que maman m'a recousu, que nous avons bien fait de résister...
2 secondes et toute une vie…
C’est ainsi que je suis née une seconde fois…
Cette fois, dans le cœur de maman

Agnès G
Rêve d’ailleurs.
Puisqu’il nous fallait nous équiper presque entièrement, nos vacances d’été avaient été consacrées à choisir et monter des meubles en kit qui devaient compléter les pièces hétéroclites et poussiéreuses chinées dans le sous-sol de la maison de ma grand-mère. Je n’ai su que des années plus tard que ma tante avait fait une véritable jaunisse d’avoir vu ma mère s’emparer égoïstement d’une psyché miteuse au miroir fendu et d’un guéridon triste au plateau écorné. Ces antiquités étaient vouées à voisiner de la manière la plus visuellement cacophonique avec un buffet en contreplaqué jaunâtre et des meubles de cuisine premier prix, mais flambant neufs. L’ensemble fut transporté, aussi économiquement que possible dans notre nouvel appartement : le logement de fonction de l’infirmière du Lycée Carnot, prestigieux établissement scolaire dijonnais. Assise à l’arrière de la voiture, serrée contre mes frère et sœurs, la plus jeune assise sur mes genoux avec son « bol à vomi » entre les mains – elle supportait mal les longs voyages, je profitai des deux heures trente du trajet depuis notre campagne nivernaise pour tenter d’imaginer l’Eden dans lequel je m’apprêtais à poser mes valises. J’allais, enfin à dix-sept ans, avoir MA chambre. Cette seule pensée me grisait.
Lorsque nous sommes arrivés devant l’immense édifice séculaire, j’étais subjuguée. Je retardai le moment de pénétrer dans notre nouveau logement en m’aventurant d’abord au milieu des rigoureuses cours carrées autour desquelles couraient plusieurs étages de galeries ancestrales. J’admirai les hautes portes vitrées des salles de classes, qui me paraissaient aussi immenses que prestigieuses. Tout ici sentait l’élégance, le raffinement, la culture, la ville. J’en rêvais, j’y aspirais, comme si cela avait depuis toujours été inscrit en moi, et c’était en train de devenir une réalité. Flottant sur mon nuage de félicité, je finis par franchir le seuil de notre nouveau « chez nous ». Quelle déception ! D’abord, il fallait traverser l’infirmerie pour atteindre notre appartement. Et quelle infirmerie ! Une grande pièce dont les murs étaient recouverts d’une peinture à la fadeur douteuse et le sol d’un carrelage atrocement démodé. Deux cabines de WC anachroniques se dissimulaient derrière une même porte. J’appris avec un désappointement impossible à feindre que l’une d’elles correspondaient à nos toilettes personnelles. Nous étions donc venus en ville pour jouir sur le palier de toilettes antédiluviennes avec un réservoir orné perché environ deux mètres au-dessus du trône avec une chaîne métallique pendante comme chasse d’eau. Maman s’est empressée de me rassurer : elle avait demandé de menus travaux, une cloison et une porte allaient donc être posées pour isoler géographiquement, à défaut de phoniquement, nos waters de ceux de ses patients. Forte de cette précision, je décidai de laisser une chance supplémentaire à notre nouvelle vie. Ainsi, je traversai le pas conquérant, la tête haute et les yeux fermés l’affreux petit corridor tapissé de moquette murale alternativement orange et marron. Je fis fi de la minuscule salle de bains / buanderie (des fils à linge s’étiraient mollement et sans effort dans sa courte longueur), de sa ridicule et impraticable baignoire sabot et de sa robinetterie antique et vert-de-grisée. J’ignorai avec superbe la cuisine aux murs de patchwork discordant – l’occupante précédente avait posé du papier peint autour de ses meubles, insensible, sans doute, aux mœurs décoratives du commun des mortels. Je snobai la pièce de vie insuffisante pour nous six. Je n’eus pas un regard pour la chambre de mes parents, celle de mes sœurs ou l’horrible cagibi destiné à mon frère, dont un mur avait été recouvert d’un décor de sous-bois du meilleur mauvais goût, cervidés compris. Et je passai la porte de MA pièce. MA chambre, enfin. Environ sept mètres carrés, peut-être huit. Aucun espace perdu. Le lit, une place, le bureau, l’armoire et l’étagère que je venais d’acquérir, ainsi qu’une cheminée de marbre beige condamnée, remplissaient tout. J’étais ravie. C’était une pièce affreuse, au papier peint abominablement suranné et écœurant. Étriquée, mal fichue, donnant si directement sur la toute petite pièce principale que je ne pouvais en espérer aucune réelle intimité, mais c’était MON endroit. Pour la première fois. J’avais envie de ville depuis si longtemps, je me sentais tellement à l’étroit dans les grands espaces campagnards de mes jeunes années que cela me semblait une maigre contrepartie de devoir me contenter de n’habiter qu’un recoin restreint de cette nouvelle immensité. J’allais rencontrer de nouveaux amis, j’allais faire de nouvelles expériences, vivre une vie nouvelle, inattendue, savoureuse, formidable. De cette chambrette, j’écrirais à mes camarades laissés derrière de grandes lettres, dans lesquelles je leur raconterais toutes les choses merveilleuses qui constitueraient désormais mon existence. Ils seraient jaloux, impatients de me voir, pour me faire raconter encore, toujours. Ils compteraient les mois, les semaines, les jours qui les séparaient encore des études supérieures et de la possibilité de venir me rejoindre. Alors, je leur présenterais mes nouvelles connaissances, les introduirais dans des groupes recherchés au milieu desquels j’aurais fait ma place, serais devenue indispensable.
Le jour de la rentrée, je m’apprêtai avec soin, enfilai mon plus beau jean et ma chemise préférée, jetai négligemment, mais avec recherche, sur mon épaule le sac à dos tout neuf qui m’avait coûté le salaire de plusieurs soirées de baby-sitting dans le temple commercial que constituaient alors à mes yeux les Galeries Lafayette. Je partis à l’assaut de cette année scolaire débutante telle un chevalier convaincu de vaincre le dragon : le port altier et la démarche guerrière. Je trouvai la liste des élèves de ma classe et me dirigeai, bille en tête, à la rencontre de mes nouveaux comparses, jetant mon dévolu sur un groupe de filles que je jugeai engageant. Vêtues à la dernière mode, maquillées – je le constatai en m’approchant, cigarette nonchalamment tenue du bout des doigts. Elles étaient l’incarnation même de tout ce que j’aspirais à devenir. Lorsque je me suis approchée, elles m’ont dévisagée de pied en cap puis se sont éloignées en pouffant, me faisant on ne peut plus explicitement comprendre que je n’étais pas et ne serai jamais des leurs. Ce rire, empreint d’une malveillance qu’elles n’avaient même pas tenté de dissimuler, a meurtri douloureusement mon cœur naïf d’adolescente.
Hélène J.
Coup de ciseaux
Enfant, j'habitais un petit village où tout le monde se connaissait.
« La blondinette » disait-on de moi, ma chevelure me définissant à elle seule. On savait qui j'étais à la seule vue de mes cheveux, c'était comme ma carte d'identité.
Toujours longs, plus longs encore, ma mère voulait cela, « tu as de beaux cheveux » me disait-elle avec fierté. Elle pouvait passer des heures à les caresser improvisant coiffures et coiffages.
Moi aussi j'étais fière de ma tignasse à travers les doux mots de ma maman.
Ça c'était l'enfance... avant que l'ado ne pointe le bout de son nez.
Tout à coup cet apanage de petite fille sage devenait fardeau. Plus envie d'être « résumée » à mes cheveux, envie d'exister par moi-même, de m'affirmer.
Ce besoin d'émancipation passa par un coiffeur « radical » qui mit à terre sans hésitation cette envahissante chevelure.
Moi, dos bien droit, yeux illuminés devant cette nouvelle frimousse qui naissait peu à peu dans le miroir. Plaisir jubilatoire à la vue de ce tas de foin autour de mon fauteuil : vestige de mon enfance...
Libre, je me sentais libre, ou plutôt libérée de ce trophée de petite fille.
Une nouvelle vie s'ouvrait à moi, du moins j'en étais convaincue.
De « blondinette », je passais à « blonde mature » en évitant la case « blondasse » de préférence !
Cheveux courts, tête haute et en avant marche !
Valérie
Je ne veux plus aller à la fête de l’école !
Sur mes genoux, mon fils de deux ans se dandine au son de la musique enfantine qui emplit la salle sans parvenir toutefois à couvrir la cacophonie des conversations d’adultes et des jeux d’enfants, aussi mal disciplinés les uns que les autres. Sur la scène, son frère de quatre ans reproduit avec autant d’application que peu de grâce, les gestes maintes fois répétés avec sa maîtresse ces dernières semaines. Par la porte entrouverte de la coulisse, j’aperçois leur grande sœur, en costume folklorique, qui papote inlassablement avec ses copines en attendant que vienne leur tour de nous éblouir d’une danse maladroite. Une fête de l’école on ne peut plus classique.
Après le spectacle interminable dans la salle des fêtes suffocante et bondée, nous rejoindrons la cour de l’école pour une kermesse sans surprises : tombola, pêche aux canards et chamboule-tout seront au rendez-vous. Nous nous régalerons de sandwiches insipides et de gâteaux maison, dont nous achèterons une part à prix d’or après les avoir nous-mêmes gracieusement confectionnés. Tandis que les enfants dépenseront allègrement les tickets de jeux que nous leur aurons payés pour rafler des quantités de lots en plastique à l’espérance de vie incroyablement éphémère, nous discuterons entre parents. Une canette de soda à la main, nous converserons longuement avec des gens que nous croisons quotidiennement en n’échangeant habituellement qu’un salut poli et contraint. Nous parlerons comme si nous étions de vieilles connaissances, de bons amis, comme si nous avions d’autres points communs que des enfants dans la même classe. Nous nous dirons que c’est quand même dommage de ne pas se fréquenter davantage et nous jurerons de nous retrouver prochainement autour d’un barbecue, ce qu’évidemment, nous ne ferons pas. Et lorsque la rentrée arrivera, nous nous regarderons de nouveau de loin, ne nous adressant plus la parole que par nécessité … jusqu’à l’année prochaine.
Ce n’est que ma troisième fête de l’école. Je suis encore une jeune maman. J’ai le temps de devenir blasée, d’en avoir assez de tout cela. Alors, je regarde avec admiration mon rejeton qui s’évertue à lever les bras, tapes des mains, tourner sur lui-même, dans le bon sens et au bon moment. J’ai conscience de mes lèvres qui remuent silencieusement sur les paroles de la chanson. J’applaudis à tout rompre lorsqu’il salue, avec sérieux, une fois son numéro terminé, l’accueille avec fierté lorsqu’il vient nous rejoindre pour assister maintenant à la prestation de sa sœur. Elle est magnifique ma fille, elle virevolte sur scène, les joues roses de chaleur et de plaisir, elle agite fièrement les rubans colorés attachés à ses poignets et achève sa démonstration d’une flamboyante révérence. Je suis émue, bouleversée de la voir si belle, si heureuse. Je la couvre de baisers lorsqu’elle nous retrouve à son tour.
Voilà, je suis juste une maman, de trois petits enfants dont deux, ce soir, ont dansé dans le « pestacle de l’école ». C’est une chose toute simple, banale, normale. Une chose répétitive, qui se reproduit chaque fin de printemps. J’étreins un peu plus fort mon bébé contre moi : dans deux ans, il sera sur scène lui aussi, pour la première fois. Mon cœur se serre : moi, je n’y serais peut-être pas.
Il y a quelques jours, j’ai appris que j’avais un cancer. Un truc casse-pieds, dont les médecins semblent ne pas bien savoir quoi penser. Depuis qu’on m’en a fait l’annonce, j’ai subi, en urgence, une série d’examens aux noms tous plus rébarbatifs les uns que les autres. C’est tout ce que l’on a pu me dire clairement : il y a urgence ! Et si j’avais eu du mal à le comprendre, tout a été mis en œuvre pour m’y aider : les rendez-vous pris pour moi à la chaîne, la date déjà fixée de l’intervention, mardi, dans trois jours, le temps incompressible et indispensable au laboratoire le plus diligent pour fournir les résultats d’analyses sans lesquels l’opération ne pourrait être envisagée. Surtout, il y a eu ce praticien aux gestes mécaniques, agissant avec moi comme si je n’étais pas une personne, c’est à dire un être humain doué de raison et de sentiments. Il est demeuré obstinément mutique jusqu’au moment où, oppressée par son silence, je lui ai demandé de me m’expliquer ce qu’il voyait. Sa réponse, assenée sur un ton incroyablement détaché, m’a glacée jusqu’aux os. « Madame, je ne peux rien dire, je ne fais que l’examen, pas le diagnostic. Mais si je peux vous donner un conseil : prenez vos dispositions. Je ne suis pas sûr que vous soyez encore là dans six mois. Vous pouvez vous rhabiller et aller voir ma secrétaire pour le règlement. »
Depuis hier, ses mots tournent en boucle dans mon cerveau. Je n’ai répété cette sentence à personne. À qui le dire ? Mon mari, qui n’a toujours pas fini d’encaisser le nom de la maladie ? Qui, déjà, s’inquiète de savoir gérer seul nos enfants pendant mon absence forcée des jours prochains ? À mes parents, qui vont m’accueillir lundi soir, m’accompagner à l’hôpital mardi matin ? Qui, déjà, se sont vu confier la lettre contenant mes volontés au cas où je ne me réveillerais pas de l’opération ? Rédiger cette lettre, ce n’était rien, j’ai toujours eu des idées très arrêtées sur ce que je désirais qu’il soit fait de mon corps lorsque je n’en aurais plus l’utilité, et la découverte de ce cancer, étrangement, n’a pas fait vacillé mes résolutions, c’est même l’une des rares choses qu’elle n’a pas fait vacillé d’ailleurs. Mais donner ce bout de papier à mon père, lui arracher la promesse de faire respecter chacun des mots que j’y avais inscrits, ça c’était dur.
Je n’ai pas non plus parlé à mes amis. Je n’en ai pas eu le temps. J’en ai appelé quelques uns, les plus proches, pour leur dire ce qui m’arrivait, pour qu’ils sachent. Pourquoi ? Sans doute parce que partager le poids de sa peur la rend plus facile à porter. Mais quand il ne s’agissait que de dire « J’ai un cancer ! », quand je pouvais assortir cette détestable annonce d’un message d’espoir, d’un sourire, d’un encouragement, de l’assurance que je n’avais pas l’intention de me laisser mettre à terre par une bête tumeur, aussi prétentieuse soit-elle, cela me paraissait acceptable. En revanche, partager la peur de mourir qui me tenaille désormais, je ne m’en sens pas le droit. Peut-être aussi crains-je de le dire. Comme si, en la formulant moi-même, je rendais la chose possible, envisageable.
Alors je me tais. Et je m’organise, puisqu’il semble que c’est ce que je doive faire. J’ai profité de la nuit d’insomnie qui a suivi ce cruel décret pour réfléchir à ce qu’il conviendrait de faire pour ma famille après mon décès. J’ai noté les préconisations qui me semblaient les plus importantes, ai fait des listes d’informations utiles pour ceux qui devront s’occuper de mes enfants et de mes funérailles.
C’est vraiment bizarre d’organiser sa mort quand on a si furieusement envie de vivre. Je me sens un peu schizophrène : il y a deux personnes qui luttent en moi. L’une, pragmatique, qui se prépare au pire et désire le faire au mieux, l’autre qui affûte ses armes et s’apprête au combat. Il en existe même une troisième qui peine de plus en plus à faire entendre sa voix mais tente malgré tout de convaincre les deux autres que tout cela n’est qu’un mauvais rêve, que ce n’est pas possible, que peut-être, en faisant l’autruche, sait-on jamais … Je ne sais plus bien qui je suis vraiment, un peu des trois sans doute. Mais je sais qui je ne suis pas, plus.
Je ne suis pas une de ces mamans insouciantes qui regardent sans songer à rien d’autre leurs gamins en train de danser. Je ne suis plus une de ces mamans qui ne pensent pas encore à l’année prochaine, parce qu’elles n’ont aucune raison de douter qu’elles seront encore là. Je ne suis pas une de ces mamans qui trouvent juste un peu pénible que des « grands » mal élevés leur gâchent le spectacle et qui se disent qu’elles choisiront mieux leur place la prochaine fois, parce que je ne suis pas sûre que, pour moi, il y aura une prochaine fois.
Ce soir, moi, je suis cette maman très seule au milieu d’une foule qui tente de ne pas rater une miette des pirouettes de ses enfants parce qu’elle se dit que c’est peut-être sa dernière occasion de les admirer. Je suis cette maman qui serre un peu trop fort son bébé contre elle en pensant qu’elle n’aura sans doute jamais l’occasion de le voir sur scène. Je suis cette maman qui pleure devant le spectacle de ses enfants en faisant mine de ne pas percevoir les coups d’œil et les commentaires méprisants des autres qui la jugent excessivement émotive. Je suis cette maman qui, même des années après, même « guérie », ne pourra plus jamais apprécier la fête de l’école.
Hélène J.
Nous arrivons après dix heures de route, et à peu près vingt arrêts car ma sœur a vomi treize fois, mon frère a eu soif, puis a eu faim, puis a de nouveau eu soif ; et moi, j’ai demandé cent cinquante-huit fois “C’est quand qu’on arrive papa ???”.
Ça y est, nous voyons la maison en contrebas, ma grand-mère à la fenêtre de la cuisine nous fait de grands coucous. On s’arrête devant la grande grille et mon grand-père vient nous ouvrir pour avancer la voiture dans le chemin menant à la maison.
Nous voilà dans notre maison au bord de l’océan, les vacances débutent enfin !
Cette maison est un rêve, mon rêve. Il y a un terrain de 3000m2, une terrasse en marbre, un magnifique bassin construit par mon grand-père, une statue d’angelot ; à l’arrière de la maison un parc avec tout au fond l’atelier de mon grand-père et son camion aménagé pour partir en camping sauvage. La cuisine dernier cri, tout en bois rustique sent toujours les plats cuisinés de Mamie et l’alcool qu’elle boit en douce. Le séjour est somptueux avec une cheminée en pierre et une belle bibliothèque.
C’est la plus belle maison du monde, et j’y passe toutes mes vacances.
Puis il y a Sauterelle la chienne de mes grands-parents, Casimir le chien de la voisine, et LA PLAGE !!! Mon oncle et ma tante tiennent la crêperie de la plage, nous y sommes en permanence avec mon frère et ma sœur, c’est crêpes à volonté tous les après-midi. Les marées basses nous permettent de ramasser des bigorneaux, et j’entame une collection de crabes morts chaque année.
Ce sont des vacances de rêve… on rentre de la plage en fin de journée, ma grand-mère est ivre, comme tous les soirs, elle s’en prend à mon grand-père “Mais Robert, mais t’es con Robert, mais t’es de plus en plus con Robert”. Ma mère nous téléphone, elle insulte ses parents car nous sommes justement chez Ses parents à Elle, mon père l’envoie balader au téléphone. Ma sœur rentre avec 45 minutes de retard, se prend une réflexion, elle se met à hurler à son tour… Mon frère étant sourd, il est assez préservé de ce vacarme constant. Moi je me dis que j’ai de la chance, je suis toujours épargnée, personne ne me crie jamais dessus, et je sais que le lendemain, tout redeviendra calme : ma grand-mère sera sobre pour quelques heures, même si elle trouvera toujours Robert un peu con, elle ne le dira pas avant 15h ; et même si je sais que toutes nos soirées seront agitées, j’ai l’habitude, c’est notre quotidien, même en vacances… Cependant je n’oublie pas qu’on a la plus belle maison du monde !
Véka
Joe, un moment d’éternité
Joe est une amie. Bientôt.
Joe est prof de yoga. En plus.
Joe est libre. Toujours.
Joe est pétillante. Toujours aussi.
Joe est en couple. Avec Youssef.
Joe a un fils. Avec Youssef.
Youssef est prof de yoga. Avant Joe.
Youssef est plus âgé. Que Joe.
Youssef est né en France. Depuis longtemps.
Youssef a un père. Français et algérien.
Youssef avait un père. Mort en France.
La famille de Youssef apprend la mort du père. Au bled, là-bas. La famille de Youssef veut rendre hommage au père. Invite le fils au bled. Au bled que le fils ne connaît pas.
Youssef et Joe partent au bled. En couple. Sans le jeune fils.
Là-bas il fait chaud. Très chaud. D’une chaleur qui dilate les pores et exhale les odeurs de fleurs inconnues. Trop chaud, les tissus collent à la peau, les lanières des sacs glissent des mains.
Trop chaud, trop lumineux pour les yeux qui voient flou. Pour les pupilles qui se referment.
Trop chaud. Pour les hommes uniquement ?
Les hommes en tenue légère, en sandales de cuir, en extérieur. Youssef les rejoint. Il perd Joe. Momentanément ?
Trop chaud pour les femmes aussi ?
Enfermées dans des maisons en terre crue, basses et odorantes. Enveloppées dans des étoffes chamarrées, de la tête aux pieds, des pieds à la tête. La tête enveloppée dans des tissus. Pour protéger de quoi ?
Joe les rejoint. Joe n’a pas le choix. Joe perd Youssef. Pour les deux semaines de leur voyage.
Séparée. Emmurée. Momentanément.
Joe perd la tête, malgré les tissus enroulés qui la piègent. Ou à cause d’eux ?
Un moment d’éternité.
Patricia
Un jour, lors d’une de mes différentes balades, j’ai vu une belle catastrophe : un astéroïde m’a frôlé le visage et s’est écrasée sur l’herbe. L’astéroïde commença à sortir des roues pour être plus confortable sur l’herbe. Quand soudain s’ouvrit une porte, des humains en sortirent mais avec une particularité : ils n’avaient qu’une oreille. L’un d’eux se blessa, il avait le sang vert et il chanta une chanson de noël alors que nous étions en juillet. Mais un miracle se produisit à la fin de la chanson, sa blessure s’était refermée sur elle-même et surtout, il neigea comme pas possible. Les personnes sortirent de l’astérovaisseau (le vaisseau de l’astéroïde) et nous dirent que cela s’arrêterait dans 20 minutes et que le vaisseau se téléporterait. La neige s’arrêta. Les gens qui se baladaient étaient témoins de ce miracle, des étoiles pleins les yeux. L’astérovaisseau n’est plus du tout revenu sur terre… pour le moment.
Adrien Lepetit
On est à l’aéroport, ma mère, lui et moi. Mon père est reparti chercher ma soeur et le reste des bagages : voiture de location trop petite. On est assis autour d’une table je crois, peut-être même boit-on quelque chose. Oui, le café pour les attendre. J’ai l’esprit flou, je ne me souviens plus vraiment de ce qu’il s’est passé avant. Seules des bribes de la nuit me reviennent. Et une pensée obsédante : surtout ne rien laisser paraître. Comment réussir à cacher les marques de ses doigts sur mon cou ? On est en plein été, j’ai peur que ça se voit. Je baisse la tête. Surtout garder la tête baissée. Je fais comme si je posais mes mains sur mon cou, mais semblant seulement. Sinon, si ma peau effleure ma peau, ça me brûle à l’intérieur.
Ma mère me dit que je n’ai pas l’air bien, je lui réponds que j’ai mal dormi, que j’ai une migraine. Il parle, comme si de rien n’était. J’entends son rire qui me fracasse le crâne. Comment fait-il ?
Puis après, black-out, encore. Jusqu’au lendemain. Je sais juste qu’une migraine me cloue au lit depuis notre retour. Je ne suis donc pas rentrée chez moi, je suis dans ma chambre d’enfant. Cette même chambre où, la veille du départ en vacances, sa main a serré pour la première fois mon cou.
Tout à coup, on toque. C’est lui. Il m’a emmené des fleurs et des croissants, il passait dans le coin mais ne peut pas rester, il doit retourner chercher sa mère chez le médecin. Le présent m’échappe, je ne comprends plus rien. Si ce n’est que son amour n’est plus le même.
Au fil des jours, des mois, des souvenirs plus lointains me reviennent. Au fil de mois, je comprends que non, son amour n’a pas changé, c’est le même depuis longtemps déjà, c’est juste moi. Moi qui avais tout effacé de ma mémoire. Et pourtant, lorsqu’il me quitte, je panique : comment vais-je pouvoir vivre sans lui ?
Aujourd’hui je le sais, si j’ai pu vivre, si je peux vivre aujourd’hui, c’est parce qu’en ce mois ensoleillé, il m’a quittée. Je ne pouvais finalement vivre que sans lui.
Anouk