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CONTES ET LEGENDES
DE LA ROULOTTE

Destins croisés (2) 

Avec l'ABC  association

bourguignonne

 culturelle

Les textes écrits en décembre

La roulotte des destins croisés

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi féministe que je sois, mon histoire, je veux dire « ma véritable histoire », commence par la rencontre avec un homme. En le voyant pour la première fois, j’ai tout de suite su que la lutte serait rapide et éreintante. J’ai senti mes entrailles se nouer, perdre toute quiétude. Il est de ces amours qui ignorent le ridicule des clichés du coup de foudre.

 

Je n’avais, jusque-là, jamais été particulièrement sensible aux signes du destin. Cela faisait d’ailleurs le désespoir d’Héléna à chaque fois que je m’aventurais dans les tentures de sa roulotte ; à chaque fois qu’elle s’affaissait dans ses multiples jupons en étirant sa main vers son jeu de tarot ; à chaque fois qu’elle coupait les soixante-dix-huit lames… et que je fuyais ses prophéties en un éclat de rire. Pour moi, la vie avait toujours été une succession de chemins que l’on emprunte, de choix que l’on fait, de décisions que l’on prend… Et je criais à qui voulait l’entendre que, face au Sphinx, Œdipe aurait sans doute pu faire un autre choix, répondre différemment.

Je vous vois rire… Vous avez raison… On ne sait jamais quand on rencontre son propre Sphinx.

 

Comment ai-je rencontré le mien ?

C’était il y a de cela deux ans… je crois... Peut-être davantage. Il faisait nuit. Nous chevauchions déjà depuis plusieurs jours à la recherche du village de ***, troisième étape de notre modeste tournée. Nous savions que l’accueil qui nous serait fait, serait loin d’être amical, mais nous avancions dans le froid. La première roulotte, celle de Dimitri, plus lourde que les autres, peinait sur le sentier minéral. Un vent froid s’engouffrait sur la route, creusée comme un chenal. Deux bâtards au poil noir et dru caracolaient en tête du convoi. Ils gueulaient en permanence à la lune.

 

J’ai d’abord senti l’odeur âcre de l’incendie. Cachée dans l’anfractuosité d’une roche, une chapelle noircie s’éboulait sur elle-même. Le feu avait dû dévorer tout le jour, et le paysage minéral gardait l’écho silencieux de la stridulation des flammes. J’ai fait avancer mon cheval qui a renâclé en s’enfonçant dans le sol pulvérulent. Des volutes de fumée montaient de la croisée du transept. J’ai mis pied à terre et j’ai senti la main paternelle de Dimitri sur mon bras et la présence d’Héléna dans mon dos.

Ils pourront vous confirmer tout ce que je vous raconte… J’avoue que j’ai encore moi-même du mal à y croire.

De vivant, il ne restait rien. La sacristie, qui avait jadis accueilli prêtres, enfants de chœur et voyageurs de passages, avait brûlé comme une torchère. Un homme, se tenait encore agenouillé, le corps calciné sous une rosace aux vitraux jaunes et orangés. Et à deux mètres de cette figure exorbitée, une femme gisait, statufiée dans un nuage de cendre. Je ne sais plus si j’ai crié ou pleuré. J’avais juste l’impression d’étouffer.

J’ai titubé pour regagner ma roulotte. Je voulais m’y réfugier, oublier ce que je venais de voir. J’ai alors entendu un frémissement dans l’excavation du chœur. Un homme a surgi des débris.

Vous vous en doutez : c’était lui.

Tout en lui était noir, comme rongé par l’incendie : son visage anguleux, ses cheveux qui se dressaient comme la hampe d’une flèche, les franges loqueteuses de son pantalon…

 

À cet instant précis j’aurais pu encore fuir. J’aurais dû fuir. Quitter cette maison de dieu. Me sauver. Dehors, il s’était mis à neiger à gros flocons… Ou peut-être à pleuvoir… J’étais comme tétanisée.

J’ai conscience des incohérences de mon récit. Je ne vous le dis pas pour me chercher des excuses mais pour que vous compreniez l’état de sidération dans lequel je me trouvais.

 

Je n’ai pas fui. J’ai été rattrapée par ces deux yeux. Ils étaient bleus. Pâles dans son visage de cendre. Ils semblaient pleurer le désastre. Lui ne m’avait pas encore remarquée. Il se tenait derrière l’autel, tout près des reliques qui avaient échappé à l’incendie.

Mon cheval s’était mis à piaffer à l’extérieur. Je l’entendais piétiner. Je me tenais encore à quelques mètres de l’homme, cachée par les restes d’une colonne massive. Quelque chose me retenait dans l’ombre.

 C’est alors que j’ai vu sa main droite se refermer sur un ostensoir baroque, petit trésor doré de la petite chapelle dévastée.

J’aimerais que vous imaginiez l’éclat de la relique, de chaque petit rayon du soleil qu’elle représentait, éclairant son visage sévère. Peut-être, alors, vous comprendrez.

 

Dimitri et Héléna avaient assisté à la scène en retenant leur souffle, Dimitri par peur, Héléna par sagesse. Sans doute avait-elle pressenti avant moi ce qui allait se jouer.

Une bible calcinée est tombée du pupitre sur lequel elle reposait. Il a levé les yeux et nous a aperçus. Il a relâché l’ostensoir.

Gaëlle

Je n'ai pas envie de vous parler de moi. Je ne sais pas pourquoi vous me demandez une chose pareille. Laissez-moi tranquille à la fin. Je ne m'intéresse pas à vous, ne vous intéressez pas à moi. Nous serons quittes.

            Qu'est-ce que ça peut vous faire qui je suis, d'où je viens ? Vous n'avez pas besoin de savoir ce que j'ai fait avant d'arriver ici. Je suis là, c'est tout. Je vous demande, moi, de me raconter votre chemin ? Non. Parce que je m'en fous ! Parce que votre route n'est pas la mienne et que ce n'est pas parce que nous nous retrouvons aujourd'hui au même carrefour, obligés de partager la même parcelle d'espace et de temps, que cela vous donne le droit de vous intéresser à moi. Qu'est-ce que ça change pour vous qui je suis ?

            Vous voulez vraiment savoir ? Je suis un fou, un excentrique, riche à millions ! Ah ! Ça vous la coupe ça, hein ? Vous n'imaginiez pas que derrière ma tête hirsute et mes yeux ternes se cachait un magnat des affaires, un businessman de talent … Eh bien, vous aviez raison ! J'ai menti. Je ne suis rien de cela. J'aurais pu, peut-être, mais l'argent, ça ne m'intéresse pas. Je le fuis au contraire. Il me fait peur. Il est trop puissant.

            Non, moi j'ai choisi la pauvreté, la bohème, la liberté. La vie n'a pas besoin de briller pour me plaire. Aucune attache : il n'y a que ça de vrai !

            Vous m'admirez ? Vous avez tort … Je mens encore ! Je n'aime pas ça être pauvre, vivre comme un saltimbanque. Si j'avais vraiment eu le choix, je n'en serais jamais arrivé là. C'est la faute de l'amour si je suis ici. C'est toujours l'amour qui vous pousse à faire des conneries, à partir sur les routes à la recherche de quelque chose que vous ne trouverez jamais. Et voilà, j'ai fait comme tous les autres crétins avant moi, j'ai tout lâché pour suivre une femme qui m'avait fait tourner la tête. Parce que faire tourner des têtes, elle adorait ça, cette salope ! Et moi, idiot que j'étais, je ne demandais pas mieux que de me faire mener par le bout du nez et de satisfaire la moindre de ses exigences. On peut dire qu'elle m'en a fait des caprices, mon Esméralda … avant de disparaître, comme toutes les traînées de son espèce, en me laissant seul, fauché et désespéré. Je la déteste aujourd'hui autant que je l'ai aimée naguère.

            Vous me plaignez ? Vous ne devriez pas : je vous raconte n'importe quoi ! Ce n'est pas mon genre de tout plaquer pour une greluche. Vous trouvez vraiment que j'ai l'air d'un faible, d'un gars qu'on mène en bateau … ou en roulotte ? Vous ne m'avez pas bien regardé alors.

            Vous ne savez rien de moi de toute façon. Vous pouvez imaginer ce que bon vous semble, dans tous les cas vous aurez tort. Je ne suis pas quelqu'un de facile à cerner. Je refuse que l'on me devine. Je n'ai pas de compte à rendre, surtout à des inconnus ! Qui êtes-vous, d'abord, pour me demander qui je suis ?

            Non ! Inutile de me répondre, je n'en ai rien à faire. Je n'ai aucun désir de vous connaître : les gens ne m'intéressent pas. Je ne les aime pas. Misanthrope ? Oui, sans doute. Et alors ? Ça vous gêne ? Je vous ai demandé votre avis ? Non ! Et bien alors, ne me le donnez pas.

            C'est incroyable ce que les gens peuvent être curieux, intrusifs. Je ne comprends pas ce besoin de connaître la vie des autres. Ça sert à quoi ? À comparer ? Pour vous assurer peut-être que votre existence est meilleure que la mienne. Ou pour justifier vos plaintes. Vous êtes du genre à vous plaindre, vous, ça se voit rien qu'à votre tête. Votre histoire ? Vous n'avez pas besoin de me la raconter, je peux la lire sur votre visage. Votre face rubiconde et votre nez grumeleux vous trahissent : l'alcool ! Ne niez pas, c'est inutile, vous avez un faciès d'ivrogne et votre haleine s'exprime pour vous. Vous pensez vraiment que je vais livrer l'histoire de ma vie à un homme qui a troqué sa famille contre des bouteilles ? Comment je le sais ? L'empreinte de votre alliance absente sur votre doigt gras et les prénoms tatoués sur votre avant-bras. Vous gardez mal vos secrets, l'ami ! Et vous, la grande sauterelle ? Vous croyez peut-être plus difficile à deviner ? Que nenni. Votre silhouette dégingandée empeste la danseuse ratée. L'opéra n'a pas voulu de vous, alors vous avez opté pour le cirque. Pas assez jolie pour trouver l'amour, vieille fille sans doute, frustrée forcément de ne pas avoir eu d'enfant. Une vie qui n'en vaut pas la peine et que vous voudriez justifier en vérifiant qu'elle est au moins supérieure à la mienne. Eh bien, sachez qu'il n'en est rien. Mon existence, c'est évident, a beaucoup plus de valeur que la vôtre, mérite bien davantage d'être vécue.

            Vous me trouvez méchant, vraiment ? Mais dites-vous bien que je m'en moque. Votre avis n'a aucune importance à mes yeux. D'ailleurs je ne l'ai pas sollicité. C'est vous, je vous le rappelle, qui êtes venus me chercher, qui avez voulu que je me mêle à votre groupe sans intérêt. C'est vous qui m'avez demandé de parler alors que je n'avais rien à dire, pas la moindre envie de m'exprimer. Je ne veux pas me dévoiler, je refuse que l'on essaie de me percer à jour. Vous n'avez qu'à cesser de me harceler de questions, vous n'avez qu'à me laisser tranquille. Je vous l'ai déjà dit ! Écoutez-moi un peu à la fin.

            Voilà pourquoi je n'aime pas les gens : ils sont infects ! Il n'y en a toujours que pour eux-mêmes. Ils ne tiennent pas compte des autres. Moi, je ne me sens pas à ma place au sein de l'humanité. Je trouve les hommes trop méprisants et trop méprisables. Ils ne m'inspirent aucun respect. Je n'ai pas envie de leur ressembler, pas envie de m'associer à eux. Je n'ai absolument pas envie de m'associer à vous. Et ce n'est pas parce que nous sommes bloqués là, arrêtés ensemble au même endroit que cela change quelque chose. Je ne vous aime pas. Tenez-vous le pour dit et ne m'embêtez plus. Cessez de chercher à vous insinuer dans ma vie : il n'y a pas de place pour vous.

            Allez ! Déguerpissez ! Allez investiguer ailleurs. De moi, vous ne saurez rien, jamais : je suis un mystère, un livre fermé, un journal intime cadenassé et rédigé à l'encre sympathique. Cessez d'insister, vous perdez votre temps et le mien. Je n'aime pas parler aux gens, j'ai horreur de ça, horreur des gens. Je vous l'ai déjà dit ! Vous ne m'écoutez pas ! À quoi ça sert alors, tout ce que je vous raconte depuis une heure si vous n'écoutez rien ? Pourquoi voulez-vous en savoir plus, puisque, manifestement, je ne vous intéresse pas ? Vous êtes décidément de sacrés hypocrites et je ne regrette pas de me tenir en retrait des gens comme vous. Laissez-moi à l'écart, comme je l'ai décrété. J'ai mes raisons, elles ne vous regardent pas. Votre curiosité m'indispose, elle m'insupporte même. Je vous trouve sans gêne de vous incruster, comme ça, dans la vie d'une personne, sans y être invités, sous le prétexte fallacieux que nous appartenons au même monde. Ce n'est pas une raison suffisante pour se mettre à communiquer, que diable ! D'ailleurs, puisque vous refusez de respecter mon silence, eh bien, dorénavant, je vais me taire !

Hélène

 Le Mat 

Mon père parcourait les chemins, d’un village à l’autre, d’une ville à l’autre ; il voulait connaître le monde. Son seul bagage, un sac sur l’épaule. On l’hébergeait et le nourrissait contre un travail dans les champs, dans la forêt. Le soir, il invitait ses hôtes, les gens du village, et racontait, racontait, racontait. Quand il racontait, les auditeurs étaient suspendus à ses paroles, comme hameçonnés, jusqu’à la fin de l’histoire.

C’est ainsi qu’il fit la connaissance de ma mère, lors d’une de ces veillées. Ils ont continué sur les chemins tout un temps. Puis ils m’ont attendue. Alors ils ont décidé de se poser. Papa s’est engagé chez un gros fermier, il est rapidement devenu régisseur>.

La roue de Fortune X

J’y suis restée 10 ans. J’ai grandi avec les enfants du village. Il ne m’a pas toujours été facile de m’intégrer : j’étais « la fille des cheminots », ou bien « la fille de ceux-là », un peu sorciers, lui qui racontait des histoires et elle qui connaissait les plantes qu’on venait voir pour un mal de ventre, pour un chagrin de cœur. Au bout de ces 10 ans, l’instituteur est venu voir mes parents. Je devais aller au lycée. Cela voulait dire partir à la ville. J’étais toute excitée : moi qui aimais tant apprendre, qui aimait tant comprendre le monde, j’avais vécu avec le savoir de mes parents, j’aspirais à une compréhension de ce savoir.

La Lune XVIII

J’ai passé et réussi l’examen d’entrée en 6ème, et suis partie au Lycée, au petit Lycée disait-on, de la préfecture. Quel bouleversement ! plus de courses dans la campagne, plus d’odeur détable ou de moisson, plus de cueillette, plus d’histoires le soir…. Et plus de liberté. Je me sentais comme enfermée dans une tour. Oui, mais le bonheur d’écouter, d’engranger, de lire, je découvrais cet univers de l’étude, il me semblait aller à la découverte du monde, d’une autre manière. J’avais appris avec mes parents en lisant le monde, j’apprenais maintenant en lisant ceux qui avaient observé et théorisé sur ce monde.

A 18 ans, j’obtenais mon bachot et je m’inscrivais à l’université. Toute l’année, j’avais réfléchi : dans quel domaine continuer ? la littérature ? c’eût été un festin. Les sciences ? le bonheur de plonger dans cette recherche sans fin. L’histoire ? comprendre où nous allions au regard de ce que nous avions accompli. Comment choisir ? ce qui s’est passé cette année-là au village a décidé de mon avenir. Ceux du village avaient pris de mauvaises décisions et se trouvaient dans des situations plus que difficiles.

La Reine de Denier

Alors c’est vers le droit que je me suis tournée.

Je craignais une discipline ardue, j’ai découvert une discipline passionnante ; l’histoire du droit me racontait, sinon l’histoire de l’humanité, du moins celle du pays, et même des pays environnants, des rapports entre les uns et les autres.

L’Amoureux VI

Ce furent 6 années de travail intense, 6 années de bonheur aussi. J’y ai connu Jacques que vous connaissez tous puisqu’il m’accompagne.

Au bout de ces 6 années, il était remps de sortir de ce monde d’études qui m’avait comblé. Il était temps de revenir au monde du quotidien.

La Maison Dieu XVI

Que de bouleversements nous attendaient. Nous avons appris la réalité. Après quelques années et un licenciement, Jacques et moi avions envie d’autres horizons ; nous avions la bougeotte, nous avions envie voyager.

Cavalier de Bâton

Nous sommes alors partis sur les routes, comme mes parents, comme les siens aussi l’avaient fait. Enfin, pas tout à fait comme eux, c’est à cheval que nous avons parcouru le monde, ou plus modestement le pays. Travaillant tantôt chez un notaire, tantôt chez un avocat, chez un huissier, et même une fois au greffe d’un tribunal. Nous avons vécu de chemin en travail, de rencontres en déceptions. Une mauvaise chute nous a arrêtés.

Soleil XVIIII

C’est alors que nous avons rencontré la caravane. Fin du bouleversement. J’ai trouvé ma place auprès de vous comme régisseuse, Jacques comme maître des chevaux. J’ai maintenant le sentiment de réunir tous mes savoirs, tant ceux que m’ont transmis mes parents que ceux transmis par mes enseignants,

La Papesse II

Que ceux appris sur les chemins au contact des uns et des autres.

Pascale

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