La Paire de baskets
C’est juste une paire de baskets.
Une paire de baskets dans l’entrée.
Une paire de baskets classique.
C’est juste une paire de baskets blanches.
Avec des lacets.
Posée dans l’entrée.
Avec des chaussettes humides en boule à côté.
C’est juste une paire de baskets.
Elle est posée. Elle ne fait rien.
Elle ne contient aucun pied.
Pas même les chaussettes qui sont en boules à côté.
Humides.
Et sales.
Mais à côté. Pas dans les baskets.
Elles sont seules, avec leurs lacets.
Elles ne bougent pas, ne marchent pas, ne courent pas, ne pratiquent aucun sport.
Elles sont juste posées.
Dans l’entrée.
Elles sont blanches et elles ont des lacets.
C’est tout et c’est assez.
Quand on regarde les baskets, on ne voit rien.
Simplement des baskets blanches, et des lacets, et des chaussettes sales, humides, mais qui ne sont pas dans les baskets
Mais à côté.
Il n’y a pas de vie.
Juste une paire de baskets.
Dans l’entrée.
Et dans les baskets, des bactéries.
Elles sont petites, discrètes, les bactéries.
Si on regarde les baskets, on ne les voit pas.
On dirait qu’elles ne sont pas là, les bactéries.
Et pourtant elles vivent.
Elles existent.
Elles se nourrissent, elles se développent, se reproduisent.
Elles s’installent dans tous les recoins des baskets.
Elles fondent un village troglodyte dans les anfractuosités du tissu et du plastique.
Elles creusent. Elles se logent.
Elles sont posées dans les baskets.
Les baskets qui sont posées.
Dans l’entrée.
Nous on ne voit que ça : la paire de baskets
Posée
Dans l’entrée
Mais dans les baskets
Posées
Dans l’entrée,
Ça s’agite.
Elles sont voraces les bactéries,
Elles veulent conquérir tout l’espace.
Certaines se glissent sous la semelle synthétique,
Elles colonisent les alvéoles de la base
Elles s’insinuent dans la mousse
D’autres grimpent le long de la tige et du contrefort
Elles plantent leurs tentes dans le tissu blanc
Un peu douteux, d’ailleurs, vu de près,
Des baskets,
Posées,
Dans l’entrée.
Elles ne font rien les baskets.
Elles sont inertes
À côté des chaussettes
Humides
Sales
Et en boule.
Mais dans les baskets
Inertes,
Ça chahute,
Ça cahute,
Les bactéries prolifèrent
Elles s’organisent
Par ethnies.
Celles qui des verrues plantaires sont la cause
Refusent de voisiner avec les pourvoyeuses de mycoses.
Chacune son quartier :
Les bactéries sont bien organisées
Dans la paire de baskets
Posée
Inerte
Dans l’entrée.
Elle ne laisse rien paraître
La paire de baskets.
Elle demeure stoïque
Elle ne tremble pas d’un lacet
Elle ne frémit pas d’un œillet
Elle se tient bravement
Fièrement
À sa place désignée
Dans l’entrée
Avec les chaussettes à côté
Humides, en boules
Et un peu sales qui plus est.
Elle ne bouge pas
Elle reste debout
Pleine de bactéries
Mais solide
Et blanche
Bien qu’un peu douteuse si on y regarde de près
Avec des lacets
On peut compter sur cette paire de baskets
Posée
Dans l’entrée
Elle sera là pour la prochaine sortie
On pourra l’enfiler
Avec des chaussettes
Humides, et un peu sales
Elle ne va pas broncher
Elle nous emmènera promener
C’est vraiment une brave paire de baskets
Qui est posée
Là, dans l’entrée
Avec ses lacets.
Merci la paire de baskets
Merci la paire de baskets.
Hélène Jacques
Le Rêveur
Il y a un rêveur
Ou une rêveuse,
C’est selon.
Ça n’a pas d’importance
Ce qui compte, ce n’est pas la couleur de la boîte à rêves
C’est la faculté d’imagination
Donc, il y a un rêveur
Ou une rêveuse,
C’est selon.
Il est là, mais il n’y est pas
Pas vraiment
Pas complètement.
On le voit le rêveur
Il est assis
On le voit
Mais il ne nous voit pas
C’est normal
C’est un rêveur
Ou une rêveuse
C’est selon.
Il est là parce qu’on le voit
Mais il n’y est pas puisqu’il ne nous voit pas
Pourtant il voit
Le rêveur
Ou la rêveuse
Mais il voit autre chose
Autre chose que l’on ne voit pas
Il a l’air d’être là
On le regarde
Il a des yeux
Des yeux sur un visage
Un visage sur une tête
Une tête de rêveur
Ou de rêveuse
C’est selon
Ça paraît normal
Ça paraît comme nous
Normalement
C’est normal quand c’est comme nous
Mais le rêveur
Ou la rêveuse
Est comme nous mais pas pareil
Dedans
Dans sa tête avec un visage
Un visage avec des yeux
Dans la tête du rêveur
Ou de la rêveuse
C’est plein de rêves
Ça ne fait pas de bruit
On pourrait ne s’apercevoir de rien
Ça n’est pas tellement gênant un rêve
C’est fait d’idées, de nuages, d’émotions et d’imagination
Ça ne fait pas de bruit les idées, les nuages, les émotions et l’imagination
Ça ne dérange personnes
Ça ne dérange pas le rêveur
Ou la rêveuse
C’est selon
Ça existe juste, tout en discrétion
Ça fabrique des images pour mettre devant les yeux du rêveur,
Ou de la rêveuse.
Dans la boîte à rêves du rêveur
Ou de la rêveuse
Ça fabrique toute la journée
Il y a beaucoup d’activité
Dans la boîte à rêves
Ça fabrique
Mais sans bouger
Sans agitation.
Le rêveur d’ailleurs est calme
Il ne ressent aucune douleur
Il sait que ça vit et que ça fabrique à l’intérieur
Dans sa boîte à rêves
Mais ça ne le gêne pas.
Au contraire
Il aime bien ça.
Il est calme le rêveur
Ou a rêveuse,
C’est selon.
Avec ses yeux
Sur son visage
Sur sa tête
Il peut voir les rêves
Les rêves en idées, en nuages, en émotions et en imagination
Il peut voir les rêves avec les yeux fermés
Et il peut même les voir avec les yeux ouverts
Il a de la chance le rêveur
Il peut voir avec les yeux ouverts
Pourtant quand on le regarde
C’est juste un rêveur
Normal
Mais peut-être un peu moins normal que nous finalement
Puisqu’il a des rêves en idées, en nuages, en émotions et en imagination dans sa boîte à rêves.
Il les garde au chaud ses rêves
Derrière ses yeux
Ses yeux dans son visage
Son visage sur sa tête
Sa tête qui est une boîte à rêves.
Il a de la chance d’avoir des rêves
Le rêveur
Ou la rêveuse.
Parfois il en partage un morceau avec ses yeux
Ses yeux qui voient même quand ils sont ouverts
On a de la chance de le connaître le rêveur,
Ou la rêveuse,
C’est selon.
Merci de rêver le rêveur ...
Merci de rêver la rêveuse ...
Hélène Jacques
Le presse-ail
On a un presse-ail.
Dans le tiroir, celui du milieu dans le buffet de cuisine.
Il est avec les tire-bouchons.
Il est unique.
A sa place, bien rangé dans le tiroir.
Au dessus de lui, sur le buffet le casse-noix et noisettes.
Deux branches mais pas le même usage.
Le casse-noix est en inox.
Pas le presse-ail.
Il n'a pas d'âge, personne ne sait.
Les années cinquante ou avant.
Il est là car utile voire indispensable.
Simple et efficace.
Il attend sagement.
Des fois il attend dans l'égouttoir.
Il sèche après un lavage à l'eau et le passage de brosse pour nettoyer les alvéoles.
La maîtresse de maison sait que s'il n'est pas dans le tiroir, il est dans l'égouttoir.
Gare à celui qui ne le remettrait pas à sa place.
Le presse-ail attend dans le tiroir qu'on ait besoin de lui.
Il presse le temps.
Il est gris, gris souris.
Deux manches, une chambre.
Il accompagne peut-être la troisième ou quatrième génération.
Il attend son heure.
Quand il est l'heure.
Il sort du tiroir.
Il s'ouvre.
Il ouvre une gueule.
Comme pour dévorer ses proies.
Ails dégermées bien sûr.
Il écrase.
Il broie.
Elles résistent puis cèdent.
Il en tire une grande satisfaction.
Il a extrudé cette chair ferme.
On passe une lame fine sur les alvéoles pour finir proprement le travail.
On ouvre, avec la pointe du couteau fin, on retire les membranes qu'on jette dans le poêle.
Ne rien perdre.
Il est content.
Il a bien travaillé.
Il est encore solide.
Il est capable, bon pour le service.
Il rend service.
Il ne se rend pas compte qu'il est précieux.
Qu'il est indispensable à la cuisinière.
Indispensable à la confection de plats goûteux.
Merci le presse-ail,
et n'écoute pas les critiques.
Claudine Delestre


François Clairgeon
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