La bobine de fil
La bobine de fil, vaste sujet, on les imagine plurielles, jamais seules dans la travailleuse, bobines de toutes les couleurs. Une infinité de couleurs bien rangées dans le magasin, en attendant l'étoffe qu'elles vont accompagner, sublimer et apporter la satisfaction à la couturière pour un ouvrage bien fait ou bien réparé.
Les bobines en bois de nos grand-mères puis en plastiques issues de filatures, enroulées, déroulées dans le bruit, fracas de l'usine. Fil cassé puis réparé.
Ne pas perdre le fil, le fil de quoi, de la conversation, du texte, de sa vie !!
Ne pas prendre sa bobine !!
Ne pas perdre son bob par grand vent en plein soleil !!
Sa bobine, si bo devient beau ou belle !!
Il nous reste Sabine, Sainte Sabine qui se trancha le sein pour éviter une mésalliance et bina son jardin le reste de sa vie.
Le fil de fer, mince, je l'oubliais celui-la avec sa bobine, un vieux couple comme Laurel et Hardy.
La bobine de fil a une cousine, un fil plus épais, plus chaud hélas elle a perdu sa bobine, c'est les aléas de la vie. Mais la pelote de laine sait bien qu'elle va retrouver la bobine de fil dans la travailleuse, en attente de nouvelles aventures.
Claudine Delestre

François Clairgeon
Le napperon
Le napperon ne s’imagine pas carré. Il contient sa forme dans son nom … il ne la respecte pourtant pas toujours, tirant, parfois, du côté de l’ovalité.
Le napperon, comme le tigron ou le girafon est un « petit de ». Il est l’héritier en devenir de la nappe qu’il ne rattrapera jamais. Mais s’il ne peut l’égaler en taille, il la surpasse en délicatesse.
Brodé et rebrodé, tissé habilement au crochet, agrémenté de passementeries grandiloquentes, il a la fatuité de ces bourgeois endimanchés qui voudraient se faire passer pour des nobles. Tout le décorum de ses atours ne parvient pas, en effet, à dissimuler sa piètre condition et sa flagrante inutilité : les seules tables qu’il puisse ambitionner de couvrir en entier sont celles des maisons de poupées.
Au fond, il n’est guère qu’un chiffon présomptueux qui laisse la poussière s’accumuler sur lui plutôt que de la chasser. Il demeure inerte sur le dos d’un poste de télévision cathodique et antédiluvien, dont il cache le haut de l’écran de ses alvéoles volages surmonté, dans les pires des cas, d’une immonde statuette météorologue aux couleurs nacrées et changeantes.
Le napperon est l’incarnation de l’inaction et de la passivité.
Le napperon ne dit rien, n’a rien à dire. Il ne se défend même pas des moqueries dont il est l’objet : vieillot, démodé, il demeure néanmoins fort apprécié des personnes âgées. Sans doute trouve-t(il du réconfort dans la fidélité sans faille que semblent lui vouer ces vieillardes impotentes que leurs jambes ne peuvent plus porter jusqu’au grenier.
Le napperon se rengorge donc et se rembrunit, fier de sa place réservée sur un guéridon tout aussi superfétatoire que lui-même. Mieux qu’une bête nappe simplement fonctionnelle, il est un « élément de décoration », lui, et le fait qu’il soit laid n’y change rien.
Ridicule dans cette posture hautaine, il en devient touchant. Après tout, il porte en lui les heures de travail passées à l’ornementer, les petits défauts causés, ça et là dans ses broderies, par une couturière inexpérimentée, quelques piqûres d’aiguille aussi quelquefois. Ses menus accrocs, ses délicates déchirures racontent la vaillance qu’il a déployée à affronter les années, à lutter contre la mode qui l’a si arbitrairement déclaré désuet.
Il y a de la tendresse dans un napperon, qui protège mal, incomplètement, le meuble auquel on l’a assigné, mais engage pourtant toute la force de ses volants dans ce combat inepte. Il y a de la grandeur dans ce petit morceau de dentelle qui refuse de s’en laisser compter, et une opiniâtreté à exister de nature à forcer l’admiration des plus sceptiques.
Hélène Jacques
Le carré de chocolat
« Carré ». Un mot rigide aux sonorités pointues. Quand on le dit, on imagine des bords nets, tracés à la règle, des angles parfaitement droits. Rien qui dépasse. « C’est carré. »
Mais quand c’est carré de chocolat, rien ne va plus ! Ça déborde immédiatement, les lignes deviennent sinueuses. L’autoroute se mue en chemin montagnard. Les mots s’épaississent, prennent de la hauteur. Un carré, c’est une figure géométrique plane, sans couleur souvent, sans saveur jamais, qui ne contient rien, si ce n’est quelques théorèmes et propriétés mathématiques insipides. Un carré de chocolat, c’est un monde, une aventure. Passés les reliefs délicieusement sinueux de ses contours, il reste à découvrir sa nature même, variable, changeante. Les plus sobres se contentent d’un simple cran, un peu austère de chocolat noir. À peine bombé, totalement lisse, on sent qu’il veut mériter son titre de « carré ». Pourtant, il ne peut s’empêcher d’exhaler son parfum doux amer, de s’étaler voluptueusement au contact des papilles, il est chocolat avant tout !
Chocolat … voilà bien le mot qu’il fallait pour s’opposer au carré. La rondeur de sa prononciation est l’écho de celle des lettres qui le composent. Il enveloppe, il s’étale, suave et enchanteur. Il contient en lui la promesse des délices qu’il cache sous ces délicates aspérités. « Chocolat », le mot est onctueux comme un cœur de ganache ou de praliné. Le vrai carré de chocolat se moque de la sobriété. Il s’orne au contraire bien volontiers d’une noisette craquante, qui égaye de ses nuances torréfiées le brun uniforme dans lequel elle a pris ses quartiers. Parfois un délicat et délectable filet de caramel s’immisce dans l’intimité de ce carré qui devient alors « bouchée ». Il peut se transformer aussi en « rocher » sous l’assaut d’éclats d’amandes ou d’autres fruits secs qui se dispersent en constellation désordonnée sur sa surface.
Quand il se veut convivial, le chocolat devient tablette ou ballotin et à sa saveur première s’ajoutent celles de l’amitié, du partage, de la fête. Il est alors gourmand, invitant, joyeux. Ami pourtant, toujours, il se montre réconfortant, consolateur. Il prend appui sur un thé parfumé, une couverture douillette et un bon roman pour remettre du baume au cœur ou sécher des larmes. Il est plein d’une chaleur intrinsèque et indicible.
Sous l’effet de trop de chaleur le chocolat s’étiole, prend peur, il tente de fuir, il fond, il est fondu. Les brisures de nougat, les grains de raisins secs qui se cachaient en son for intérieur, remontent à la surface, comme pour échapper à cette inexorable noyade.
Il n’en reste pas moins délicieux, le doigt, vorace, en témoigne, qui le ramasse d’un geste vif.
Hélène Jacques