Système
Avec l'Atheneum, centre culturel de l'Université de Bourgogne
Les textes écrits lors de l'atelier d'écriture créative
du 10 novembre 2021
où l'on écrit à plusieurs mains...
PLOC PLOC PLOC
Manu l’éléphant sort de sa grotte. Il ne le fait que très rarement. Il sait que sa présence est anormale, tous les autres lui ont fait comprendre : une bête pareil n’existe pas, c’est un monstre, un paria ! Au fond de lui, il l’a toujours senti, depuis ses premiers pas : il n’est pas né à la bonne époque. Mais aujourd’hui il sort, parce qu’il pleut et que lorsqu’il pleut, les autres se cachent. Bien qu’ils n’approchent que très peu de son antre, chacune de ses sorties est un événement et tous le savent, tous l’apprennent.
Manu aime la pluie, ça ne le dérange pas. Il aime la pluie et ses humeurs. Aujourd’hui elle est mélancolique, alors Manu s’adapte. Il reste discret, mais avec une présence chaleureuse. A l’écoute de la pluie, il comprend que quelque chose est arrivé. Elle ne lui dit pas quand exactement, mais ça ne fait pas longtemps. Alors Manu ouvre ses grands yeux tendres, qu’il ferme toujours sous la pluie pour mieux l’entendre, la sentir. Il ouvre les yeux doucement. Une fois qu’ils se sont fait à la luminosité, il croit d’abord mal voir. Alors il observe mieux encore. Plusieurs petits animaux marchent ou courent pas loin du sentier qui mène à sa grotte. Ils sont étranges, inconnus. On a jamais vu de tels bestiaux. Ils marchent sur deux pattes seulement. Alors Manu court, se précipite. Dans sa course, il sent son cœur chauffer. Enfin. Enfin d’autres monstres, d’autres parias, d’autres dénaturés ! A mesure qu’il approche, il entend comme un chant, un nouveau langage qu’il se plait à écouter. Tout change, tout.
Aujourd’hui il le sait, il ne sera plus seul dans sa grotte. Les larmes du ciel s’apaisent, comme si le soleil de son cœur tout chaud désormais avait aussi apaisé les cieux. Leur bruit n’est plus assourdissant, il est léger, à peine perceptible. Comme sous les yeux de Manu.
A bras ouverts, l’humeur chaude et mélancolique de Manu.
Anouk
Les rives de la brume
A cet instant, tandis que les vagues venaient mordre de leurs lames froides et trempées le bout de ses bottes, Tim leva les yeux. D’aucun pense que lorsque l’horizon est gris, il n’y a plus rien à voir au-delà. Et pourtant… Pourtant cette toile grise empêtrée de millions de gouttelettes, telle une toile d’araignée géante, cette toile était ce qui se rapprochait le mieux d’une page blanche, de celles que l’on utilise pour écrire les souvenirs qui nous pèsent, et qu’on laisse ensuite dériver comme un flacon jeté à la mer, le réceptacle des peines qui nous les rend moins lourdes.
Malgré tout, même si les pensées s’inscrivaient dans la brume du soir, même si les larmes de peine venaient s’ajouter aux larmes du ciel, à celles du monde pour nourrir cet océan de tristesse, le fardeau de Tim ne s’allégeait pas. Douze ans s’étaient écoulés, et pourtant c’était encore hier. C’était encore ce matin qu’il travaillait sur ce nouveau prototype adapté au monde de l’eau qui s’était accrue. Un appareil à bord duquel on pouvait se déplacer, observer et étudier la vie sous-marine. Il était conçu d’après les restes de barques et même d’appareils de pêche utilisés il y a bien longtemps. Le métal des harpons pouvait toujours servir. On utilisait des morceaux de vie d’avant et ceux d’aujourd’hui pour s’adapter à celle de demain. Et un jour, peut-être cela évoluera-t’il.
Mais alors que l’on arrivait à une question vitale sur le choix du système de sécurité, il avait hésité. Il était le meilleur ingénieur, celui qui s’y connaissait le mieux alors en questions hydrauliques. Personne n’était d’accord sur le modèle du système. Il y avait deux voix, il a du trancher. Et il a perdu. Après une longue hésitation, il ne s’est pas écouté. Le prototype a coulé sitôt lancé. Elle s’était portée volontaire pour l’inauguration, elle qui avait tant confiance en lui.
Une larme coula sur sa joue alors qu’il déposa une rose des sables sur la jetée.
Texte collectif à 4 mains : Grégoire, Anouk, Nicolas, Lorette.
Six
Un crissement de pneu, le bruit sourd d'un corps rencontrant violemment le sol, il avait perdu le contrôle. Lui d'un côté, sur le bord de la chaussée, recouvert de terre, et de l'autre son vélo, au beau milieu de cette route perdue dans les champs. Il aurait adoré avoir eu l'excuse de la pluie, fracassante, mais ce n'était qu'une vulgaire bruine qui l'avait fait glisser. Était-ce cependant vraiment le cas ? Il ne se relevait pas, au contraire, il se recroquevillait sur lui-même, sur ce sol boueux et froid, il tremblait... Tremblait-il vraiment ? Puis un bruit, étouffé, comme réprimé, puis un autre, plus violent, plus sincère. Un sanglot puis des larmes. Son désespoir résonnait dans la nuit, un désespoir franc, inconsolable. Six ans.... Six ans de lettres, six ans d'échange et une promesse. Celle d'un jour se présenter à elle, s'offrir à elle tout entière. Jamais, jamais il n'avait réussi à franchir le pas. Pourtant,ce n'était pas sa première tentative... Combien de fois sa maison il avait épié ? combien de fois à sa porte il se refusa de toquer ? Mais aujourd'hui... il avait tenté. Il ne pouvait plus supporter n'être que spectateur de cette vie rêvée. Il avait toqué et l'instant d'après, congédié. Avec violence, dans les cris. Il le savait, il lui avait menti et sur la chaussée, sous cette bruine pathétique... Il le méritait.
Nous
Tombé du ciel
Jim voit l’ULM fondre du ciel par le vélux de sa chambre. C’est un coup de chance, car il adore regarder le ciel quand la pluie tombe. D’abord parce que le bruit des gouttes sur les tuiles est rassurant et puis parce que la fenêtre de sa chambre est un véritable poste d’observation de la plage toute proche. Mais ce soir, Jim voit cette chose, de manière inédite, casser la routine de ces moments d’observation. Il se demande si le pilote a peur, s’il va survivre et s’il risque gros. La peur le prend, il ouvre le vélux et la pluie qui frappe son visage, Jim crie en direction de l’ULM, gueulant au pilote qui n’entend sans doute rien à cause du toussotement grinçant du moteur et du vent qui grossit.
Jim observe la lumière crue des LEDS fendre l’obscurité. L’appareil est balloté par le vent. Le crash est inévitable. Sidéré, Jim observe la scène jusqu’à la chute inévitable ; et dans ce triste moment, les nuages se rassemblent aussi pour pleurer cet accident malheureux.
Les sirènes des pompiers sortent Jim de sa torpeur. Ses parents montent le voir dans sa chambre et il leur explique tout ce qu’il vient de voir. Les jours qui suivent, il découpe soigneusement dans la presse locale tous les articles qui relatent cet événement. Le plus dingo raconte qu’un promeneur a cru assister à l’arrivée des extra-terrestres. On a jamais retrouvé le pilote. Qu’il pleuve ou fasse soleil, il a longtemps arpenté la plage, espérant peut-être le voir arriver et pouvoir parler avec lui de ce moment. Et depuis, tous les 12 juin, Jim revient dans sa maison d’enfance et se poste au vélux, l’air rêveur.
Nicdasse