Les textes écrits lors de l'atelier d'écriture créative du
24 novembre 2022
où l'on emprunte à la technique cinématographique, à la manière de Jean Echenoz..
Ecrire c’est partir, voyager, faire voyager, imaginer, rêver, divaguer, affabuler, se faire plaisir, faire plaisir, se projeter, s’oublier, se sacrifier, s’immoler, avouer, changer de peau, raconter, cacher, révéler, consoler, se consoler, souffrir, laisser sortir, créer
A la droite de la main qui écrit ceci....en fait NON, je vais commencer par le dessus, au-dessus de la main qui écrit ceci, me surveillent une colonie de globes en cristal, chacun sa forme, son caractère, sa présence, tous reliés par une ficelle blanche, comme la traîne que laissent des étoiles dans un ciel de nuit, attentif et apaisé...et voilà que l'on prend son envol, c'est une invitation aux voyages, plus loin dans les airs on va rencontrer d'autres globes, d'autres formes et couleurs, comme si on croisait dans l'espace d'autres astres chatoyants. Vous voyez le panoramique commence à peine et déjà on est très loin !... mais poursuivons. Mon regard bute sur les étagères du fond, ah oui mes amis les bols du premier atelier d'écriture, tout est en nombre, différent et identique, comme des séries, des collections qui invitent le regard à détailler, énumérer, scruter, et finalement choisir, choisir de se laisser emporter par le souvenir de la soupe de sa grand-mère qu'on mangeait dans une assiette comme ci, ou par le souvenir du thé noir très fort que l'on partageait chez ses copines qui avaient des tasses comme ça...
Tournons encore un peu la tête, la pièce vit du mouvement de la rue, de ses échos, la voix des passants, les cris les murmures les appels des enfants sortant de la Minoterie, les copines qui sortent d'ici et rient encore du bon moment passé ensemble, chez La Marinette. Les lumières des phares de voiture qui filent, encore des fils dans l'espace, un bruit continu qui devient bruit de fond et appelle à la rêverie. Le regard s'attache à un passant qui stationne devant la fenêtre pour parler dans son téléphone ; puis le regard se détache, poursuit son panoramique, il y a encore tant d'objets à scruter chez La Marinette, tant de souvenirs à laisser refaire surface, de sensations à accueillir. Ce filet me rappelle le marché où maman nous emmenait le mercredi matin, c'était un spectacle vivant de camelots hauts en couleurs, une découverte sans cesse renouvelée d'objets insolites jamais rencontrés dans la maison. Plus loin des meubles cachent leur âme des années 70 derrière des couleurs acidulées, et me renvoie à ces joyeuses années d'étudiantes, on ramassait les meubles dans la rue, on les relookait pour en faire son intérieur, et puis un jour il fallait partir ailleurs, on les redéposait dans la rue, ils serviraient à quelqu'un d'autre !
Dans le panoramique le mouvement lent de la caméra laisse tout l'espace et le temps aux rêves, souvenirs, divagations...
Frédérique V.
À la droite de la main qui écrit ceci, la faïence froide du lavabo blanc qui trône et tranche avec l'éclat coloré de la faïence. Savamment orchestré dans un désordre calculé, chaque pièce s'imbrique dans les autres. Du vertical, de l'horizontal, du carré, du rectangle, du mince, du gros... l'art de l'harmonie qui permet à chaque morceau, insignifiant pris individuellement, de participer à l'éclat de l'ensemble. Plus qu'insignifiant, certains peuvent même sembler moches. Au-dessus du blanc lavabo, le blanc miroir, simplement accroché là, bancal, qui dit ''merde'' à l'idée qu'on se fait qu'un miroir doit être droit, centré et aligné...
À gauche du miroir, un ''moche''. Le vrai spécimen de ''moche'' qui trône là et qui tient bien sa place. Sans lui, rien ne serait pareil. L'ensemble a besoin de lui pour raconter l'histoire.
Au centre du miroir, les yeux qui sont dans mon dos, et qui me donnent presque l'impression de transgresser la règle ; mon travelling fait le grand écart et passe en toute impunité sur le mur d'en face. Faïence basique repeinte en bleu turquoise, histoire de leur donner un peu de caractère, pour qu'elles aient un peu de répondant face au coloré méli-mélo.
Dans la partie supérieure du miroir, une petite fenêtre peinte en blanc lavabo. Et, dans le coin en bas à droite du miroir, une tête à lunettes privée de nez et de bouche, juste pour que je reconnaisse les yeux qui sont dans mon dos. À droite du miroir, je parcours le mur bleu canard jusqu'au globe lumineux, rond et ciselé, agrémenté au centre d'une petite rosace en laiton. Immobile, les yeux figés sur le globe, me voilà quittant le travelling pour un voyage dans le lointain pays de mes souvenirs : Mamie en bas de l'escabeau, ampoule à la main, Pépé en haut, dévissant la rosace pour délivrer l'ampoule qui a rendu l'âme après des heures de bons et loyaux services. C'était dans le salon, deux jumelles de part et d'autre du canapé, qui ont fini leur course à Emmaüs quand il a fallu vider la maison.
Cécile Dufraisse
A droite de ma main qui écrit ceci, se dévoile d’abord un plan de travail d’un bleu de mer profond, en bois des années 60, vague qui glisse tout le long du mur qui me fait face, garni d’étagères bleues aussi, tenues par des équerres dorées accrochées à de fines tringles, dorées elles aussi.
Sur les planches d’étagères, en haut, une enfilade de bouteilles colorées se détache de l’ombre du mur, dont les effets opalescents rendus par un petit néon situé à l’arrière- plan s’effacent doucement, dans une perspective de biais due à mon angle de vision. En dessous, sur deux étages, dans un alignement semblable aux multiples reflets, des verres à bière, à eau, des verres à pied.
Tout proche de mon regard, toujours déporté à droite, s’impose par sa taille un gros bocal translucide rempli de grains de café prêt à alimenter la machine à expresso placée à côté, où, sous le bec verseur, une tasse a récupéré les gouttes des cafés qui ont été servis dans la journée aux clients passés au comptoir pour commander qui un expresso bien noir, qui un double sans sucre ou un petit crème.
Ce soir, comme tous les soirs, le lieu est au repos et s’offre à la lecture, qu’intrus nous sommes venus faire ici, en quête de transformer l’essai en écriture.
En observant bien, on discerne les traces subtiles de la journée écoulée, et même les conversations et les sourires échangés, qui ne sont pas encore totalement avalés par la bouche de ventilation ouverte dans le plafond, tant on entend combien celle-ci ne semble pas se contenter de seulement malaxer l’air du lieu.
En tournant mon regard plus à gauche, c’est à la fois l’ordre et le désordre qui a investi notre plan de travail posé derrière le comptoir. Pêle-mêle, des coupelles blanches empilées forment une tour bancale, des panières à pain en ficelle et treillage superposées, un sac papier ayant contenu du pain côtoient un amoncellement de boîtes de thé, les unes en hauteur, les autres en largeur et encore quelques-unes de guingois. Elles nous parlent de terres éthiques et de jardins de Gaia dans un jeu subtil d’équilibre, faisant penser qu’au premier geste de la serveuse demain, elles s’écrouleront sur le torchon à carreaux vert replié sur le plateau posé devant.
Pas la peine d’aller plus loin à gauche, le regard se floute, et finit dans l’ombre d’une table carrée, en bois foncé, qui reprendra vie demain midi quand la patronne la recouvrira d’une nappe en tissu.
C’est un décor immobile, surpris ce soir par l’éclairage ciblé de la guirlande de lampes aux verres dépolis qui orne le plafond, ponctuant aussi d’auréoles jaunes le bleu du comptoir de Marinette.
Chantal Mehay